Alexandre Dumas

Dumas describes his visit to Ferney in 1832 in the fourth section, "La tour du Lac", of his Impressions de voyage en Suisse


Les courses dans les environs de Genève sont délicieuses à chaque moment de la journée, on trouve d'élégantes voitures disposées à conduire le voyageur partout où le mène sa curiosité ou son caprice. Lorsque nous eûmes visité la ville, nous montâmes dans une calèche et nous partîmes pour Ferney; deux heures après, nous étions arrivés.

La première chose que l'on aperçoit avant d'entrer au château, c'est une petite chapelle dont l'inscription est un chef-d'oeuvre; elle ne se compose cependant que de trois mots:

DEO EREXIT VOLTAIRE.

Elle avait pour but de prouver au monde entier, fort inquiet des démêlés de la créature et du Créateur, que Voltaire et Dieu s'étaient enfin réconciliés; le monde apprit cette nouvelle avec satisfaction, mais il soupçonna toujours Voltaire d'avoir fait les premières avances.

Nous traversâmes un jardin, nous montâmes un perron elevé. de deux ou trois marches, et nous nous trouvâmes dans I'antichambre; c'est là que se recueillent, avant d'entrer dans le sanctuaire, les pèlerins qui viennent adorer le dieu de l'irré ligion. Le concierge les prévient solennellement d'avance que rien n'a été changé à l'ameublement, et qu'ils vont voir l'appartement tel que l'habitait M. de Voltaire; cette allocution manque rarement de produire son effet. On a vu, à ces simples paroles, pleurer des abonnés du Constitutionnel.

Aussi rien n'est plus prodigieux à étudier que l'aplomb du concierge chargé de conduire les étrangers. Il entra tout enfant au service du grand homme; ce qui fait qu'il possède un répertoire d'anecdotes, à lui relatives, qui ravissent en béatitude les braves bourgeois qui l'écoutent. Lorsque nous mîmes le pied dans la chambre à coucher, une famille entière aspirait, rangée en cercle autour de lui, chaque parole qui tombait de sa bouche, et l'admiration qu'elle avait pour le philosophe s'étendait presque jusqu'à l'homme qui avait ciré ses souliers et poudré sa perruque; c'était une scène dont il serait impossible de donner une idée, à moins que d'amener les mêmes acteurs sous les yeux du public. On saura seulement que, chaque fois que le concierge prononçait, avec un accent qui n'appartenait qu'à lui, ces mots sacramentels: M. Arouet de Voltaire, il portait la main à son chapeau, et que tous ces hommes, qui ne se seraient peut-être pas découverts devant le Christ au Calvaire, imitaient religieusement ce mcuvement de respect.

Dix minutes après, ce fut à notre tour de nous instruire; la société paya et partit; alors le cicerone nous appartint exclusivement. Il nous promena dans un assez beau jardin, d'où le philosophe avait une merveilleuse vue, nous montra l'allée couverte dans laquelle il avait fait sa belle tragédie d'Irène; et, nous quittant tout à coup pour s'approcher d'un arbre, il coupa, avec sa serpette, un copeau de son écorce qu'il me donna. Je le portai successivement à mon nez, à ma langue, croyant que c'était un bois étranger qui avait une odeur ou un goût quelconque. Point: c'était un arbre planté par M. Arouet de Voltaire lui-même, et dont il est d'usage que chaque étranger emporte une parcelle. Ce digne arbre avait failli mourir d'un accident, il y avait trois mois, et paraissait encore bien malade; un sacriloge s'était introduit nuitamment dans le parc et avait enlevé trois ou quatre pieds carrés de l'écorce sainte.

--C'est quelque fanatique de la Henriade qui aura fait cette infamie, dis-je à notre concierge.

--Non, monsieur, me répondit-il, je crois plutôt que c'est tout bonnement un spéculateur qui aura reçu une commande de l'étranger.

Stupendo !...

En sortant du jardin, notre concierge nous conduisit chez lui; il voulait nous montrer la canne de Voltaire, qu'il conservait religieusement depuis la mort du grand homme, et qu'il finit par nous offrir pour un louis, les besoins du temps le forçant de se séparer de cette relique précieuse; je lui ré pondis que c'était trop cher et que j'avais connu un souscripteur de l'édition Touquet auquel, il y avait huit ans, il avait cédé la pareille pour vingt francs. Nous remontâmes en voiture, nous repartîmes pour Coppet, et nous arrivâmes au château de madame de Staël.

View of the château from the garden, ca. 1780, by Michel-Vincent Brandoin


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